vendredi 24 février 2017

École : les devoirs à la maison supprimés

Chaque ministre, qu'il soit de l'instruction publique, de l'éducation nationale ou de l'éducation, pour peu qu'il reste en poste un peu plus longtemps que la "moyenne" donne son nom à une réforme. Et le rythme va en s'accélérant.
Il en est une qui revient régulièrement, une qui est rarement appliquée par les instituteurs ou les professeurs des écoles, diversement comprise par les parents, applaudie, je suppose, par les élèves : c'est celle de la suppression des devoirs à la maison.
Est-ce d'ailleurs une réforme puisque les devoirs à la maison sont proscrits depuis plus de 100 ans en Haute-Marne par exemple. La circulaire de 1956 sur cette suppression est bien connue ; d'autres l'ont suivie, l'ont rappelée, l'ont confirmée.

J'ai retrouvé dans un numéro de 1913 du Guetteur de Saint-Quentin un article sur le sujet. 


 J'ai retrouvé le courrier adressé par l'inspecteur d'académie de la Haute-Marne à ses collaborateurs


Objet : suppression des devoirs écrits dans la famille.
L'inspecteur d'académie

Mes chers collaborateurs,

J'ai appelé déjà votre attention sur les devoirs écrits faits dans la famille. Je vous ai dit que l'utilité en était fort contestable, qu'ils risquaient, après une journée scolaire de six heures, de fatiguer l'enfant, que les conditions matérielles où ils sont la plupart du temps exécutés, pouvaient les rendre nuisibles à la santé de nos élèves ; et je vous ai recommandé de les donner très courts, si vous ne les supprimiez pas tout à fait.
J'estime, expériences faites, que leur suppression absolue s'impose.
Elle s'impose, pour les raisons que je viens de rappeler brièvement, dans l'intérêt des enfants, qui sont exposés, dès le cours préparatoire, à un surmenage anormal. Car ce n'est pas seulement les plus grands élèves qui ont à faire de ces devoirs : j'ai vu des bambins de six ans astreints à copier, le soir, des listes de mots, ou à chiffrer des opérations interminables, et dont les maîtres s'excusaient sur le désir des parents.
Elle s'impose, dans l'intérêt des études. Les enfants ne peuvent que travailler mal dans des conditions défectueuses. Ils y oublient les méthodes de l'école. Et l'éducation même n'est pas sans en être fâcheusement touchée. Il est impossible en effet que le maître contrôle toujours, et toujours sérieusement, les devoirs faits à la maison. L'enfant s'habitue alors à bâcler un travail, à qui le maître ne peut pas accorder l'attention nécessaire, et à se contenter d'une besogne matérielle et machinale, pourvu qu'elle ait une certaine correction extérieure.
Elle s'impose encore, cette suppression, dans l'intérêt des maîtres. Vous avez mieux à faire, pour votre santé et pour votre classe, que de “ mettre du rouge ” sur des cahiers. Réservez vos corrections aux travaux faits sous votre direction et votre surveillance. Et vous cesserez, par surcroît, d'être exposés à des plaintes et à des réclamations : des tâches sont parfois mal dosées, ou on trouve qu'elles le sont ; il arrive que l'on compare d'école à école, de commune à commune, les manières de faire différentes des maîtres... Pourquoi donc conserver cette routine des devoirs à la maison, qui n'a que des avantages très minces et très problématiques, pour des inconvénients assurés ?
Entendez bien, cependant, que je n'interdis pas toute occupation dans la famille après la classe du soir : il ne s'agit que des exercices écrits. Je verrais au contraire avec plaisir que vous donniez comme tâche à vos élèves, avec une leçon à apprendre, tantôt la préparation de la lecture du lendemain, dont ils vous rendraient compte, tantôt un petit dessin d'imagination dont vous leur auriez indiqué le thème, tantôt un travail manuel intéressant... Et vous satisferiez ainsi, sans dommage ni surcharge pour personne, et avec un profit éducatif réel, aux désirs des familles qui demandent qu'on occupe un peu leurs enfants après l'école.
Vous voudrez donc bien, sous bénéfice des observations précédentes, supprimer absolument les devoirs écrits dans la famille. Cette circulaire sera appliquée, sans exception, à partir du 1er janvier 1913.

Cette circulaire ne fait que conforter l'idée de l'inutilité voire de la nocivité de ce qui était déjà constaté en 1885 :


"C'est mon cahier de Devoirs à la maison", me dit l'élève.

Je le feuillette ; chaque page porte un grand signe au crayon bleu qu'y a laissé la main du maître. Je prends deux, trois, dix, vingt cahiers, sur tous je retrouve le même signe. Je lis un de ces cahiers ; il est émaillé de fautes dont pas une n'a été touchée ni même soulignée. Ainsi des autres cahiers. Qu'est-ce alors que ce signe ? un trompe-l'œil ? Le maître a l'air d'avoir corrigé le devoir ; le directeur a l'air de croire que le devoir a été corrigé ; l'inspecteur primaire a l'air d'avoir vérifié. Rien de mauvais comme cette série d'apparences convenues. Et l'élève, que pense-t-il ? qu'il faut avoir l'air de faire son devoir ? Mais, me dit-on, le maître n'a pas le temps de voir chaque jour tous ces devoirs. Je comprends ; qu'il n'en voie que dix, ou moins encore ; mais qu'il les voie vraiment ! Ne faisons rien que de sincère, rien que de sérieux ; et par notre exemple apprenons à nos enfants à ne rien faire que de sincère, que de sérieux.

E. A., in Revue pédagogique, 1885

Sources :
Le Guetteur de Saint-Quentin 1913 - Bibliothèque municipale de Saint-Quentin
Site internet "Éducation, linguistique, société" de Samuel Huet.

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